Personne et L'Autre
- Bonjour.
- ...
- Comment vas-tu?
- Qui es-tu?
- Personne. Alors, comment vas-tu?
- Normal.
- C'est quoi, << normal >>?
- Comme d'habitude.
- Et comment tu vas, d'habitude?
- Normal.
- Ne te répète pas !
- Ni bien, ni mal.
- Si tu ne vas ni bien, ni mal, comment tu te sens?
- Je ne sais pas.
- Tu ne sais pas?
- Les mots ne suffisent pas pour le décrire ; il faut le vivre.
- Je vois... Et toi, tu ne me demandes pas comment je vais?
- Tu ne m'as pas demandé qui j'étais...
- Parce que je le sais déjà !
- Ah oui? Alors qui suis-je?
- Tu es L'Autre.
- L'Autre?
- Bah oui ! Regarde autour de toi, nous ne sommes que deux : une personne et une autre.
- Alors nous sommes seuls... De toute manière, je ne m'en soucie pas !
- Ne dis pas ça ! Nous sommes amis, maintenant.
- Amis? Ne te moque pas de moi.
- Mais je veux un ami !
- Alors vas voir ailleurs.
- Je ne peux pas...
- Pourquoi?
- Il n'y a pas d'ailleurs.
- Alors sois juste ton propre ami.
- Mais comment tu veux que je sois mon << propre ami >>? Tu es bizarre...
- Tu es celui qui m'a abordé.
- Je me sentais juste seul...
- Et moi, j'aime la solitude ; alors cesse de m'ennuyer.
- Non ! Jouons ensembles ! Jouons ensembles !
- Tais-toi donc !
- Le silence me pèse depuis bien assez longtemps !
- Ce n'est pas mon problème.
- S'il-te-plait... Et puis, qu'est-ce qui peut bien t'intéresser dans la solitude?
- Ce que tu n'aimes certainement pas : réfléchir.
- Réfléchir à quoi?
- A tout un tas de choses. Enfin, je reste néanmoins censé...
- Mais être trop censé ne rend pas insensé?
- Si, et c'est pour ça que je suis fou.
- Tu te contredis, là.
- Je suis fatigué...
- Alors laisse-toi aller ! Repose-toi !
- Ici, on ne dors pas, on ne peut guère même somnoler... Et c'est pour ça que je suis harcelé par mon propre cerveau.
- Ton cerveau ressemble à un psychopathe.
- N'utilise pas ce mot avec une telle facilité, surtout quand tu n'en connais pas le sens !
- Désolé...
- Bon, tu peux me laisser, maintenant?
- Non. En plus, je n'ai nulle part où aller.
- Pars juste ! Si tu ne t'arrêtes pas de marcher, tu trouveras bien quelque chose !
- Et si je tourne juste en rond?
- Alors j'aurai retrouvé ma paix pendant quelques instants.
- Tu es méchant.
- Parce que tu crois que l'on peut réellement juger si une personne est bonne ou mauvaise?
- Je n'y ai jamais réfléchi.
- Alors ne te prends pas pour un juge.
- Je ne voulais pas en avoir l'air.
- C'est surtout que tu n'as jamais fait la comparaison entre un juge et toi.
- C'est vrai, mais alors tout le monde est comme moi !
- Je ne le suis pas... C'est qui, << tout le monde >>?
- Tu ne l'es pas? Tu mens !
- Je ne mens pas. Je ne suis pas un réel acteur, dans la vie. Et c'est qui, << tout le monde >>?
- Si tu n'es pas un acteur, tu es quoi? Tous les êtres vivants sont acteurs !
- Je suis un spectateur. Réponds : qui est << tout le monde >>?
- Spectateur? De quoi es-tu le public?
- De la vie, justement. Des choses, des gens... De tout. Qui est << tout le monde >>?
- Mais pourquoi?
- J'observe et j'analyse... Qui est << tout le monde >>?
- Pourquoi?
- Je ne sais pas. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours fait ainsi. Qui est << tout le monde >>?
- Mais y a rien à observer !
- Avant, il y avait. Qui est << tout le monde >>?
- Tout le monde, c'est les gens !
- Il n'y a plus de gens.
- Non, mais il y en aura de nouveau après.
- Comment?
- Je crois que tu dois juste cesser de vivre dans le passé.
- Ça a marché, pour toi?
- Je n'ai jamais essayé. Mais je les ai quand même aperçus !
- Aperçus, hein? N'était-ce pas juste l'ombre de ta solitude?
- Non !
- Tu as juste peur de devenir fou, en fait.
- Qui n'en aurait pas peur?
- Moi.
- Parce que tu es fou.
- Je n'ai pas peur de devenir fou parce que je le suis déjà? Tu te trompes !
- Alors dis-moi ta vérité !
- Je me suis laissé consumer par ma folie.
- Parce que tu es fou.
- Ne te répète pas quand tu m'as dis toi-même de ne pas le faire !
- Pourquoi tu as laissé la folie te dévorer?
- Tu ne comprendrais pas ; ça fait tellement mal !
- Je ne te crois pas.
- Que sais-tu seulement de moi?
- Je sais tout ce que tu m'as déjà dit.
- Pas grand chose, en soit.
- Suffisamment.
- Qui revient à dire?
- Que tu es un paradoxe ennuyeux et têtu.
- Te rends-tu compte seulement que j'ai envie de te rire au nez?
- Alors fais-le.
- Pourquoi tu restes avec moi? N'as-tu pas peur?
- Je n'ai pas peur de toi ; j'ai peur d'être seul.
- Être avec moi revient à être seul.
- Mais non ! Je ne me sens déjà plus seul, grâce à toi !
- Nous avons juste converser.
- Et sympathiser !
- La sympathie n'est qu'une illusion.
- Tu es vraiment pessimiste, n'est-ce pas?
- Non, réaliste. Et je te dis ça en ne ressentant rien, avec juste ma plus totale indifférence, ma plus modeste philosophie, et mes connaissances en la psychologie.
- Je ne te trouve pas si indifférent... C'est quoi, la philosophie?
- Je pourrais te dire que le simple fait d'en poser la question est philosophique, tu sais?
- Mais c'est quoi?
- La philosophie, c'est une science.
- Une science de quoi?
- C'est complexe.
- Tu veux bien m'apprendre?
- Non.
- Pourquoi?
- Tu étouffes ma solitude.
- Tu es vraiment ennuyeux !
- Et je l'assume.
- ...
- ...
- Je sais !
- Quoi?
- On peut partager la solitude !
- Mais elle ne sera plus la même.
- N'est-ce pas le point?
- Uniquement pour toi.
- Tu es vraiment têtu...
- Tout comme toi.
- C'est vrai.
- Tes mots sont détestables.
- Parce que, tout comme toi, je m'assume.
- Dis-tu que l'on se ressemble?
- Oui.
- C'est stupide.
- Non, parce que c'est notre différence qui fait notre ressemblance.
- Je vois ce que tu veux dire, je crois.
- Vraiment?
- Mais ça ne veut pas dire que je l'accepte.
- Je suis plus intelligent que j'en ai l'air, n'est-ce pas?
- Intelligent, je n'en sais rien ; réfléchi, je pense que oui.
- Ça ne revient pas au même?
- Non.
- Même si je ne comprends pas, j'aime !
- Arg... J'entends ton sourire ! Mes oreilles souffrent !
- Est-ce ta façon de me dire que tu m'acceptes finalement? De toute manière, comment tu peux entendre mon sourire? Surtout que tu ne me vois pas.
- Me suis-je trompé?
- Non.
- Alors ne cherche pas à comprendre. Tu es tellement prévisible...
- Ce n'est pas vrai.
- Ça dépend.
- Bien, tu l'es encore plus que moi !
- Ah?
- Il suffit de te comprendre.
- Les gens croient qu'ils se comprennent du moment qu'ils communiquent. Mais, tu sais, la seule certitude, c'est que l'autre ait reçu le message. Ne te fais pas d'illusions, tu ne me comprends pas.
- Ne peux-tu pas arrêter de justifier les choses?
- Non.
- Pourquoi?
- Je ne peux pas.
- Pourquoi?
- Parce que.
- Pourquoi?
- Arrête !
- Pourquoi?
- Je n'ai jamais cessé de faire ainsi.
- Pourquoi?
- Je n'arrive pas à faire autrement.
- Mais pourquoi?
- Je ne sais pas... Je ne peux juste pas m'arrêter de réfléchir. Sans arrêt, je réfléchis au moins à une dizaine de choses à la fois, toujours cherchant des théories, des solutions, des explications...
- Je ne crois pas pouvoir me concentrer sur plus d'une seule chose sur un même temps.
- Comme la plupart des gens.
- Tu es unique, alors.
- Non.
- Nous sommes tous uniques.
- Nous sommes tous pareils.
- Tu es bien le premier à me dire ça.
- Les gens ne réfléchissent pas à ce genre de choses. On leur apprend que chaque personne est différente, et comme, à leurs yeux, ça semble véridique, ils y croient sans se remettre en question.
- Explique-moi ton point de vue.
- Combien sommes-nous?
- Deux.
- En-dehors de nous?
- Avant, la population mondiale - humaine - était estimée à un peu plus de sept milliards de personnes. Après, ce sera pareil ; exactement pareil.
- Bien, je m'explique. Si tu me dis que chaque être humain est unique, tu me dis qu'il y a sept milliards d'états psychologiques, de comportements et de personnalités différentes.
- Oui, ça se tient.
- Aux yeux des gens ! Mais moi, je pense que les gens sont tous pareils ; il y a sept milliards de façons d'exprimer une seule personne.
- Je suis un peu perdu.
- Évidemment... Personne ne comprend jamais.
- Mais si c'est toi qui le dis, je pense que tu as raison.
- Tu ne devrais pas penser ainsi.
- Depuis le début, tout ce que tu me dis a du sens.
- Et je peux tout expliquer.
- De qui tiens-tu ta capacité de réflexion?
- De moi.
- Tu t'es élevé tout seul?
- Oui.
- J'ai fait pareil.
- Qu'est-ce qu'il t'est arrivé?
- J'ai été abandonné. Et toi?
- Pourquoi tu as été abandonné?
- Je ne sais pas. Je dois être mauvais... Tu n'es pas désolé?
- Pourquoi le serais-je? Je n'y suis pour rien.
- De toutes les réactions que j'ai eut, la tienne est la plus honnête. Merci !
- C'est que les gens sont hypocrites ! Ils cherchent juste à entretenir les relations.
- Oui, mais on ne peut pas leur en vouloir : ils sont humains.
- Tu as raison.
- Alors, et toi? Qu'est-ce qu'il t'est arrivé?
- Je ne suis pas celui abandonné : je suis celui qui a abandonné. J'ai tout laissé derrière moi.
- Pourquoi?
- Parce que je ne suis compatible qu'avec moi-même.
- Bizarre, comme explication.
- Je n'ai pas envie de développer.
- Tu en souffres?
- Non.
- Tu mens.
- Peut-être.
- Je comprends.
- Je n'en doute pas.
- ...
- Est-ce que le temps existe, ici?
- Pourquoi?
- Rien ne change.
- Parce que nous sommes les seuls ayant de la valeur.
- Alors ça veut dire que la vérité de ce lieu est telle que nous la concevons...
- Je suppose.
- Tu veux essayer?
- Comment?
- Ferme très fort les yeux !
- C'est fait.
- Maintenant, imagine-toi avec une craie dans la main. Une craie blanche, capable de dessiner même sur l'air.
- Ce genre de craie n'existe pas.
- Conçois ta propre vérité.
- Je comprends, je crois.
- ...
- Ça y est ! Je la sens dans ma main !
- Et maintenant, ouvre les yeux.
- Je vois... un miroir? C'est moi?
- Non, c'est moi.
- Tu es beau !
- Tu ne peux pas en décider si tu ne peux pas me comparer à qui que ce soit d'autres.
- Mes yeux me disent que tu es beau, point !
- Tu l'es aussi, alors.
- Je suis comment?
- Tu es comme tu es.
- Mais encore?
- Encore? Rien, dessinons.
- C'est pour ça, la craie?
- Oui.
- Tu aimes dessiner?
- Dessiner me permet de m'exprimer.
- Tu aimes voir les dessins des autres?
- Ils ne s'en rendent pas compte, mais j'en apprends tellement sur eux !
- Tu veux en apprendre plus sur moi?
- Oui. Tu l'as dit toi-même : nous sommes amis.
- Yeah ! Dessinons ! Dessinons !
- ...
Real-Illusion
Mots de l'auteur :
Personne et L'Autre est un petit texte sans aucune prétention que j'ai écrit il y a quelques années...
Chacun est libre d'en comprendre ce qu'il veut.